mercredi 31 août 2016

Les Jachères de la République



« Mais le combat est d’abord, et avant tout, politique, au sens le plus profond du mot, culturel, pour dire ce que nous n’acceptons pas, car cela met en danger la cohésion de la Nation. » - M. Valls.

Je partage cette vision depuis toujours mais est-ce vraiment le fond de votre pensée?
C’est au cœur de la cité que se trouvent les réponses.
De « polis » en grec nous tenons la politique. Du latin « civitas», la citoyenneté. Privées des langues anciennes, les futures générations l’ignoreront bientôt.
Au sens le plus profond du mot c’est l’ensemble des règles qui permettent à la cité de prospérer grâce à la cohésion de sa population.
C’est bien ce qu’il nous faudrait mais en avons-nous les moyens ? Pouvons-nous détruire ce que nous construisons depuis 60 ans ?
Car cette cité malade dans laquelle nous vivons est fabriquée de toutes pièces, née d’un idéal visionnaire de gens déconnectés de la réalité.

Je ne suis ni éclairée ni illuminée. Je suis juste une citoyenne de seconde zone sachant superposer des cartes et enfoncer des portes ouvertes.

Si nous associons tous l’intégrisme avec la cité de banlieue nous n’en voyons pas toujours les causes profondes et je souhaite revenir sur notre histoire récente. Cette analyse n’engage bien sûr que moi, simple fruit de mes observations.

C’est en regardant différentes cartes que j’ai commencé à creuser un peu plus.
D’abord celles de la répartition des foyers intégristes et des fameux « Grands Ensembles ». Puis celles du chômage, de l’échec scolaire, de la pauvreté, des conversions, de la violence, de l’extrême droite et des évangélistes pentecôtistes. Ce n’est pas un hasard si toutes révèlent les mêmes points noirs (certaines exceptions pour l’extrême droite qui est parfois en périphérie de ces zones).

La France est le seul pays d’Europe à avoir choisi massivement ce mode d’urbanisation, nos voisins préférant opter pour des immeubles bas et des cités jardins. Il se trouve aussi que la France détient le record européen du nombre de djihadistes sur son territoire.
Hasard ?
Je ne pense pas…

Nous sommes juste après la guerre et il faut reconstruire la France. Les infrastructures, les transports, les logements.

Notre pays était très en retard par rapport à ses voisins. A cette époque seules la moitié des habitations ont l’eau courante, 25% ont des toilettes et 10% une salle de bain. Alors au lieu de reconstruire on a décidé de construire tout court.
Il fallait aller vite et bien.
Les grands ensembles vont sortir de terre jusqu’au milieu des années 70.
De véritables villes en kit avec écoles, commerces et logements poussent comme des champignons en un temps record. On se rend très rapidement compte que ce n’est pas une bonne idée mais on continue quand même !
C’est qu’on a besoin de plus en plus de place. Après la guerre à réparer on entame les 30 glorieuses, on favorise l’immigration pour subvenir au manque de main d’œuvre, nous sommes en plein baby-boom, nous sommes en pleine décolonisation et nous assistons au dernier grand exode rural.

La France a faim de gigantisme. Des champs toujours plus grands avec le remembrement et des tours toujours plus hautes pour loger tous ces exilés.

Le rêve de la ville nouvelle est de courte durée. On a construit vite mais mal. Très vite les matériaux bas de gamme se dégradent. La joie d’avoir sa salle de bain est gâchée par les nuisances sonores et les courants d’air. L’offre des transports ne suit pas et les commerces ferment.

Ces villes ont été bâties en périphérie des grandes métropoles qui fournissent les emplois  et hors les murs des villages dont elles prendront le nom. Comme des clones elles n’ont ni âme ni Histoire. Quand on habite Sarcelles on n’est pas parisien et on n’est pas de Sarcelles quand on ne vient pas du « Village ».
Elles n’ont pas de passé et n’auront bientôt plus d’avenir.
On n’y vit pas, on y dort après une longue journée de travail et des heures de transports.
On travaille bien à l’école pour réussir et pouvoir un jour en partir.

Elle est là notre France Blacks-Blancs-Beurs. Elle est juive, chrétienne et musulmane. Elle est portugaise, arménienne, marocaine malienne et bretonne. Elle travaille de concert pour un pays plus fort et un avenir meilleur. Elle est ouvrière et non qualifiée. Elle envoie de l’argent au pays. Un jour elle rentrera chez elle ou alors elle aura « une situation »…
En attendant la terre promise, faute de loisirs et d’espaces verts on reste devant sa télé nouvellement acquise et on regarde défiler le reste du monde.

Et puis en 1974, le rêve se brise. C’est le choc pétrolier.
Les emplois  sont plus rares et les premières victimes sont ces gens qui ont tout laissé pour venir vivre ici. Dans le même temps le flot migratoire ne tarit pas mais il n’est plus économique. On ne quitte plus son pays pour y revenir riche plus tard. On quitte son pays pour ne pas y mourir sans savoir si on y retournera un jour.

Avec le chômage ils n’ont pas pu financer les études pour les enfants qui sont entre-temps devenus parents à leur tour.

Et le grand rêve se transforme en spirale de l’échec, en descente aux enfers.

Dans les années 90 la jeunesse est en colère.
Elle casse, vole, pille, insulte comme un enfant testerait les limites de ses parents mais la République est une mère démissionnaire.
Elle va bien punir un peu mais va délaisser son rôle d’éducatrice. Petit à petit les villes-nouvelles deviennent Cités Dortoirs puis des Zones Urbaines Sensibles et enfin des  quartiers prioritaires de la politique de la ville. On change de nom mais rien ne change vraiment et même si les élus rechignent à l’admettre ce sont surtout des zones de non-droit.
Des zones sans lois, sans repères et surtout sans espoirs. Elles sont devenues des jachères de la République où la notion «d’Égalité » n’a plus de sens.

Après 30 ans d’abandon les chiffres parlent d’eux-mêmes…
50% va abandonner l’école avant la fin du collège et n’aura aucune qualification ou diplôme.
45% des moins de 24 ans sont sans emploi (le double de la population nationale).
22% bénéficient de la CMU contre 7% pour le reste des français.
33% touchent les minima sociaux contre 18% ailleurs.
40% vivent sous le seuil de pauvreté.
5% d’entre eux seront cadre ou auront une profession libérale.
La mortalité périnatale y est 80% plus élevée !

Nous ne sommes pas à Soweto ou Jakarta… Nous sommes à moins de 10 km De Paris, Marseille, Roubaix et autres métropoles.

Ils vivent dans des villes sans passé et n’ont aucun avenir. Ils subissent leur vie comme dans les tragédies grecques en acceptant la fatalité. Ils ne voient du monde que ce que leur offrent BFMTV et Les Feux de l’Amour.

Les jachères sont des terres fertiles à qui prend la peine de les reprendre en main et ça, les prédicateurs de tous bords l’ont bien compris. Ils offrent des réponses quand les autres restent muets, ils donnent un sens à cette absurde vie sur terre faite de souffrances pour gravir les marches du salut et surtout, ils vont sur le terrain.
Ce compost explosif n’a pas de couleur. Il est le fruit de la pauvreté et de l’absence d’espoirs qui se décomposent.

Il est facile d’endoctriner des gens qui savent à peine lire et dont personne ne prend soin. La République leur reproche même de gagner trop avec toutes leurs « allocs »! Ils se raccrochent à n’importe quelle branche.
Ils s’abandonnent à une foi aveugle en un Allah vengeur, un Jésus vivant ou une vierge Marine.
Ces croyances sont archaïques et remplies de haines, mêlant vieilles pratiques animistes ou païennes à des morceaux de « vrais textes » détournés pour former de véritables dogmes. Elles sont volontairement détachées de tout modernisme afin d’être plus hermétiques. On ne discute pas  ce qu’on ne comprend pas.
Si certains glissent vers une version plus radicales de leurs convictions originelles on assiste à énormément de conversions vers l’Islam mais aussi les Pentecôtistes ou l’extrême droite. Ils profitent d’une population qui n’ira ni lire les textes ni vérifier les chiffres ou les sources.
Leur foi est aveugle et leur jugement altéré.

Ils ne sont pas idiots mais il est bien difficile de réfléchir quand on souffre (je vous invite à essayer de faire des sudoku pendant une rage de dents ou un accouchement). Une fois enrôlés quelqu’un pensera pour eux et ils vont y trouver un réel apaisement en plus de l’espoir d’un avenir meilleur, ici ou dans l’au-delà.

Alors oui, il faut faire quelque chose Monsieur Valls.
Il faut faire de la politique au sens profond comme vous dites et rattacher les 10% d’êtres qui survivent dans ces limbes parallèles à la République.
Il faut arrêter de laisser mourir socialement ces gens en les mettant au ban de la ville au sens large. Si des prédicateurs de bazar arrivent à convaincre en offrant du rêve, des énarques d’un des pays les plus riches de la planète devraient y arriver en offrant du concret. Non ?
C’est à vous d’aller réhabiliter vos jachères au lieu de culpabiliser les herbes devenues folles qui y poussent comme elles le peuvent.

1 commentaire:

  1. On vit plus longtemps en Libye, en Syrie ou en Irak que dans les "zones sensibles" en France. L'espérance de vie y est comparable avec celle du Bangladesh...

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