Un témoignage à lire et partager pour que cela change et évolue dans le bon
sens.
Cette lettre est adressée au directeur de l'hôpital, à son chargé de
communication, à l'agence régionale de santé ainsi qu'au Ministère de la Santé.
Préambule
J’avoue être un peu ennuyée
quant à la rédaction de ce courrier et quel ton lui donner…
Je vous appelle Monsieur et
vous vouvoie comme le veut l’usage, la bienséance et le respect ou je t’appelle
Jean-Marc, voire Jimy et te tutoie comme se permet de le faire ton personnel
avec tout patient incapable de répliquer ?
Franchement j’hésite mais
malgré ma colère et mon profond dégoût je vais vous laisser le bénéfice du
doute et faire comme si vous n’aviez jamais posé un orteil dans vos services et
étiez dans la plus profonde ignorance de ce qui se passe derrière votre
fenêtre.
Je vous préviens, mon histoire va vous sembler un peu longue.
Elle va certainement avoir un goût un peu amer et désagréable puisque même
après mon départ on parle encore de mes propos et de moi dans vos
services ! Si votre personnel peut parfois sembler manquer d’empathie, de
temps et d’écoute il semblerait qu’il ne manque ni d’orgueil, ni d’oreille qui
traîne et que, pour déblatérer, du temps, il en trouve !
Je vais être obligée de vous
raconter un peu ma vie et mon aventure chez vous pour que vous compreniez ce
que j’ai vécu mais surtout ce que vivent tous vos patients. J’ai la chance
d’avoir deux neurones qui fonctionnent, un clavier et de ne pas risquer d’aller
à l’isolement si je m’exprime puisque je suis dehors !
Comme vous devez vous en
douter si je sors de chez vous c’est que je ne vais pas très bien.
Une dépression majeure avec
suicide planifié et risque imminent de passage à l’acte.
Vernon
J’ai décidé de planifier une hospitalisation en passant par l’hôpital de
Vernon. J’ai appelé le mardi 3 janvier pour savoir quelles prises en charge
étaient possibles. On m’a expliqué qu’il était possible de faire une
hospitalisation courte entre 4 et 6 jours afin de me protéger dans un premier
temps puis d’organiser un programme ou sorte plan thérapeutique
multidisciplinaire en relation étroite avec le CMP ; sorte
d’hospitalisation de jour après les quelques jours de repos.
On m’a bien précisé que je pourrai garder mon téléphone, ordinateur,
recevoir des visites : « vous allez entrer à l’hôpital madame, pas en
prison ».
Tout me semblant rassurant et surtout correspondant à mes attentes, une prise
en charge globale, je me suis donc rendue le mercredi 4 janvier aux urgences de
Vernon après avoir organisé la garde de mes enfants pour ces quelques jours.
J’ai été très bien accueillie et on m’a de nouveau rassurée sur mes
conditions d’hospitalisation… Je n’allais pas en prison et j’allais être prise
en charge par une équipe puis suivie dès ma sortie.
Mais ça c’était à Vernon… Et de place à Vernon il n’y en avait plus !
Le Charme Pourpre
La psychiatre des urgences a
appelé sans relâche pour me trouver une place, mon état étant selon elle
« urgent ». J’ai toujours été calme, consciente de mon état. Devant
conduire pour venir à l’hôpital je n’étais sous l’emprise d’aucun médicament.
Un lit a finalement été trouvé à Evreux, celui, libre pour la nuit, d’un
permissionnaire. Ni la psychiatre ni moi ne savions dans quel service j’allais
mais nous avions enfin trouvé un lit.
C’est donc vers 22h que je
suis arrivée dans le service « Charme Pourpre ». Pour ceux qui
ne connaissent pas c’est un service de long séjour (j’ai causé avec un gars ici
depuis 17 ans).
Dès mon arrivée toutes mes
affaires m’ont été confisquées, mes sacs vidés, fouillés avec commentaires sur
leurs contenus. Mon téléphone supprimé comme mes chaussures et ma ceinture.
Je me suis effondrée. J’étais en larmes hoquetais, ne comprenais pas, ne
comprenais plus. J’avais juré à ma fille qu’elle pourrait m’envoyer des
messages à toute heure et je ne pouvais même pas lui dire que j’étais arrivée
alors qu’elle attendait des nouvelles depuis 17h30. J’ai expliqué ce que nous avions
organisé sur Vernon, ce que l’on m’avait dit et promis…
Pour me calmer, pas de verre d’eau ou de parole apaisante… « T’es
internée, t’es pas dans un hôtel ! Soit tu te calmes tout de suite soit on
te colle à l’isolement » sont les mots d’accueil de cette infirmière cette
nuit-là.
L’aide-soignant a, lui, partagé un thé avec moi, plus tard pour essayer de
me calmer et me rassurer. J’ai été autorisée à envoyer un unique message à ma
fille pour lui dire que je n’aurai plus de téléphone.
Le lendemain j’ai vu un psychiatre environ 2 minutes et me suis retrouvée
avec un traitement avec des médicaments inconnus sans même en avoir été
informée. En revenant ma chambre provisoire avait été vidée. Je n’avais plus de
place ni dedans ni dehors et je devais esquiver certains patients à la demande
du personnel.
On m’a expliqué que j’allais
être transféré vers un service « adapté », d’admission, le
« Fayard Pourpre ». Je me souviens de cette adorable infirmière venue
me chercher dehors pour me proposer de me rendre mes chaussures car j’avais
froid. Dans le bureau, mettant enfin mes pieds aux chaud je me rappelle son
insistance pour un transfert rapide « cette dame ne peut pas rester ici,
elle n’a pas sa place chez nous, il faut faire vite, ça ne va pas du
tout ».
Le Fayard Pourpre
C’est donc le jeudi 5 vers 13h30 que je suis arrivée dans le service. J’ai
été installée dans ma chambre. Une fois habillée car depuis le matin je n’avais
pas eu accès à mes vêtements, je suis allée voir les infirmières pour récupérer
le reste de mes affaires dont mon téléphone et mes cigarettes. J’ai récupéré
ces dernières mais pas mon appareil. J’ai expliqué que je devais juste envoyer
un sms à ma fille, raconté Vernon… On m’a clairement envoyée bouler sur un ton
plus que sec (je reste polie). On m’a demandé de revenir 1h plus tard.
Quand je suis revenue j’ai été accueillie par un « vous voulez quoi encore ? »
franchement excédé (je rappelle que j’étais dans le service depuis 1h, ignorant
tout de son fonctionnement). J’ai récupéré mon téléphone et envoyé mon message
vers 15h.
J’ai ensuite regagné ma chambre, ne sortant que pour aller fumer une
cigarette ou me rendre au réfectoire.
Le lendemain matin j’ai demandé à recharger ma cigarette et j’ai de nouveau
reçu un accueil plus que désagréable car les appareils ne se rechargent
parait-il que la nuit. On m’a clairement « envoyée chier » (désolée
mais je ne vois pas de tournure plus parlante). J’ai donc regagné ma chambre.
J’ai passé la même journée que la veille.
Il est, parait-il, indiqué
dans mon dossier que je suis restée prostrée 2 jours dans ma chambre. Je suis
juste restée dans le seul endroit où j’étais sûre de ne pas me faire
engueuler ! Et visiblement ça n’a pas inquiété grand monde puisque
personne n’est venu toquer à ma porte pour prendre de mes nouvelles !
Le psychiatre a lourdement
insisté à chaque visite pour que je prolonge mon séjour. A lui aussi, comme à
Vernon, j’ai expliqué ce que j’attendais de cette hospitalisation et il m’a
expliqué que j’aurai un rdv calé et que tout serait organisé lors de ma sortie.
J’ai eu une prescription et dès le lendemain matin (samedi) j’ai eu mon premier
malaise vagal. Visiblement l’un des produits provoquait une réaction secondaire.
Je suis restée avec mes malaises matinaux puisqu’il n’y a pas de psychiatre
le week-end. Le lundi, lors de la visite, il a accepté de supprimé l’un des 2
pour savoir auquel j’étais intolérante. Il m’a expliqué être absent le mardi
mais qu’un confrère prendrait le relais si nous avions supprimé le mauvais… Et
c’était le cas ! J’ai attendu en vain toute la journée du mardi mais aucun
psychiatre n’a accepté de me recevoir.
Je souffre également de douleurs chroniques et il y a une affiche sur
« Votre douleur – Parlons-en ». J’ai expliqué au généraliste qu’un
seul produit me soulageait et il ne me l’a pas prescrit. J’ai retrouvé par la
suite une ordonnance de mon médecin prouvant que c’était bien mon traitement.
Je n’ai eu accès au soulagement que le lundi soir lors mon 6
ème soir
d’hospitalisation !
Quant à la douleur psychologique, j’ai eu beau dire et répéter que
l’anxiolytique n’avait aucun effet sur l’angoisse, il n’a jamais été changé et
même diminué par rapport à mon traitement de ville !
Le lundi soir, pour la première fois, un infirmier s’est présenté à moi lors
de sa prise de service en m’appelant par mon nom et me demandant si j’allais
bien. Pour moi cette demande n’était qu’une formule de politesse et je n’ai
réalisé le lendemain qu’elle était vraiment sincère et une invitation au
dialogue mais quand on passe une semaine à se faire traiter comme un
« truc qui gêne au milieu » on perd l’habitude de l’humanité.
Du respect et de la dignité
des patients
Le mardi soir, veille de ma sortie, il a fallu que j’avale une fois de plus
ce médicament qui me rendait malade.
Ce soir-là, j’ai osé parler. Je sortais le lendemain dans un état pire que
celui dans lequel j’étais rentrée. L’infirmière très gentille à laquelle je me
suis adressée ne connaissait même pas mon dossier. J’ai donc évoqué mon cas
mais aussi celui des autres et en particulier celui du
droit à la dignité.
Il se trouve que certains patients ne sont pas autonomes et renversent leur
repas, n’arrivent pas à tenir une cuillère, ne peuvent s’asseoir seuls… Et le
personnel reste planté là, se marre, râle avec des « elle en a encore
foutu partout », « tu sais ce que c’est qu’une cuillère ? »
mais il n’y en n’a pas un qui aide. Alors quand X, le pantalon baissé laissant
voir la moitié de son intimité postérieure se tartine le bavoir et rate la
moitié de son repas j’estime que sa dignité est bafouée.
J’estime que quand Z n’arrive pas à beurrer sa tartine avec sa cuillère à
soupe et renverse son chocolat sur elle, son droit à la dignité est bafoué.
Que quand on retrouve W en slip dans les couloirs sa dignité est bafouée.
Ce n’est pas parce que ces patients sont sédatés ou incapables de se rendre
compte de leur état à cause de leur pathologie qu’ils n’ont pas droit à la
dignité.
Comme ce tutoiement unilatéral de certains patients. Jamais ne n’ai vu cela
dans aucun hôpital, même en gériatrie ou pour des patients dans le coma.
Et puis il y a cet odieux
chantage, l’abus d’autorité sur des patient en état de faiblesse pratiqué par
certains… Le chantage à l’isolement, à la privation de cigarette ou d’un objet
personnel ! C’est surtout pratiqué (comme c’est étonnant !) sur des
patients sous contrainte ! Humiliés publiquement et obligé de faire le
« gentil toutou » pour pouvoir avoir un pantalon !
Mais il y a aussi des
distractions dans le service ! Comme ce dimanche en fin d’après-midi où
devant la porte ouverte du carré du staff un patient (certes pas méchant) a
commencé à m’approcher jusqu’à me caresser les cheveux me disant que j’étais
belle. J’ai protesté et clairement signifié que je ne voulais pas qu’il me
touche. Le personnel présent a trouvé ça vraiment drôle, K avait une nouvelle
fiancée ! Et quand il a continué et attrapé l’épaule et essayé de me
prendre dans ses bras c’est seule que j’ai dû me dégager devant l’équipe du
staff spectatrice.
Le départ
Le mardi, veille de ma sortie, j’étais vraiment mal.
J’avais exprimé mon opinion
quant à la façon de traiter les patients et l’impression d’avoir perdu ma
semaine. J’avais demandé une prise en charge globale et un cadrage pour ma
sortie pour retrouver des repères, avoir des jalons et des béquilles une fois
dehors. Je n’ai vu que le psychiatre mais ni psychologue, ni infirmière pour
discuter. Il parait que l’on peut… mais vu qu’on a l’impression de leur
arracher un rein quand on leur demande de charger un téléphone je n’ose
imaginer l’accueil pour parler 1/2h ! Et puis je ne savais même pas que
c’était à eux qu’il fallait soi-même s’adresser, je ne l’ai su que le dernier
soir.
Bref, j’avais placé beaucoup d’espoir dans cette hospitalisation (trop
courte selon mon psychiatre) et devant l’échec de ma démarche j’ai craqué. En
allant chercher mon somnifère du soir pour la première fois on m’a demandé
comment j’allais… la première fois en une semaine… et invité à m’asseoir et
parler. L’infirmier de nuit nous a rejointes et nous avons longuement discuté.
Depuis mon intervention pendant le repas j’étais devenue une patiente « distante,
froide, hautaine » quand toute la semaine on n’avait souligné que mon
humeur égale et souriante.
Lui aussi a souligné cette hospitalisation trop courte à son avis.
J’y ai beaucoup repensé et vers 2h du matin je suis retournée lui demander
son avis pour savoir si une semaine supplémentaire pourrait m’aider dans mon
projet pour aller mieux. Il a été très franc et répondu que « non, j’étais
grillée dans le service avec les collègues, que je ne trouverai personne à qui
parler et qu’il valait mieux que j’oublie Navarre ».
Le lendemain matin j’ai vu pour la dernière fois mon psychiatre et proposé
d’accepter de prolonger mon hospitalisation.
Il a refusé.
Je lui ai fait remarquer que je partais dans un état pire que celui dans
lequel j’étais arrivée avec un traitement qui n’étais pas au point (en gros
j’avais encore plus envie de me suicider pour ne plus souffrir).
Non, je sortais et c’était sans appel. J’ai demandé quand était prévu mon
rendez-vous au CMP, comment était organisée ma sortie. Rien. Pour moi rien
n’est prévu, pour moi Navarre n’existe plus et je n’existe plus pour Navarre.
En gros on m’a jetée dehors
pour avoir osé exprimer mon avis et surtout exposé ma souffrance au grand jour
sur la place publique.
Très clairement, vu mon état,
le praticien (tout le service en fait) mettait dehors une personne dans
un état pire qu’à son arrivée en mettant délibérément sa vie en danger
uniquement pour une question d’orgueil et le refus de se remettre en question.
Ma sortie de ce mercredi était très clairement une mise en danger de la vie
d’autrui et je trouve cela inadmissible.
Je tiens à signaler que sur cette semaine d’hospitalisation personne n’a
remarqué les mutilations sur mon corps, les deux bras et le ventre, car jamais
je n’ai été auscultée.
Conclusion
Nous sommes en France au 21
ème
siècle et cet établissement psychiatrique « moderne » est digne des
pires images d’Epinal.
Humiliations, vengeance, chantage, « deal de clope », brutalité
verbale, moquerie et une indifférence totale à la douleur physique et
psychique.
On trouve plus de douceur et d’humanité dans le regard d’un gardien de
chenil que chez vos soignants et le seul mot qui me vienne c’est
: immonde.
J’ose espérer que cet endroit
est une exception et que le reste des établissements psychiatriques est peuplé
d’humains doués d’empathie et faisant leur travail.
Je tiens à signaler (mais vous le ferez vous-même avec vos plannings car je
ne souhaite citer personne) que j’ai rencontré des personnes formidables qui
aiment leur métier et le font réellement.
Je souhaite en particulier à remercier le personnel de service et les
aides-soignants qui ne sont pourtant pas censés être en première ligne dans la
thérapie.
Le problème est que les « monstres » marquent plus que les
« humains ».
Pour conclure, Monsieur, sachez que la prochaine fois que j'irai vraiment
mal, je préférerai passer à l’acte plutôt que de repasser par votre
établissement, voire même toute structure du même type suite à cette
expérience.
Cordialement,
Agnès LAURENT