samedi 14 janvier 2017

La Lettre contre les murs ou le séjour à Navarre

Un témoignage à lire et partager pour que cela change et évolue dans le bon sens.
Cette lettre est adressée au directeur de l'hôpital, à son chargé de communication, à l'agence régionale de santé ainsi qu'au Ministère de la Santé.



Préambule

J’avoue être un peu ennuyée quant à la rédaction de ce courrier et quel ton lui donner…

Je vous appelle Monsieur et vous vouvoie comme le veut l’usage, la bienséance et le respect ou je t’appelle Jean-Marc, voire Jimy et te tutoie comme se permet de le faire ton personnel avec tout patient incapable de répliquer ?
Franchement j’hésite mais malgré ma colère et mon profond dégoût je vais vous laisser le bénéfice du doute et faire comme si vous n’aviez jamais posé un orteil dans vos services et étiez dans la plus profonde ignorance de ce qui se passe derrière votre fenêtre.

Je vous préviens, mon histoire va vous sembler un peu longue.
Elle va certainement avoir un goût un peu amer et désagréable puisque même après mon départ on parle encore de mes propos et de moi dans vos services ! Si votre personnel peut parfois sembler manquer d’empathie, de temps et d’écoute il semblerait qu’il ne manque ni d’orgueil, ni d’oreille qui traîne et que, pour déblatérer, du temps, il en trouve !

Je vais être obligée de vous raconter un peu ma vie et mon aventure chez vous pour que vous compreniez ce que j’ai vécu mais surtout ce que vivent tous vos patients. J’ai la chance d’avoir deux neurones qui fonctionnent, un clavier et de ne pas risquer d’aller à l’isolement si je m’exprime puisque je suis dehors !
Comme vous devez vous en douter si je sors de chez vous c’est que je ne vais pas très bien.
Une dépression majeure avec suicide planifié et risque imminent de passage à l’acte.


Vernon
J’ai décidé de planifier une hospitalisation en passant par l’hôpital de Vernon. J’ai appelé le mardi 3 janvier pour savoir quelles prises en charge étaient possibles. On m’a expliqué qu’il était possible de faire une hospitalisation courte entre 4 et 6 jours afin de me protéger dans un premier temps puis d’organiser un programme ou sorte plan thérapeutique multidisciplinaire en relation étroite avec le CMP ; sorte d’hospitalisation de jour après les quelques jours de repos.
On m’a bien précisé que je pourrai garder mon téléphone, ordinateur, recevoir des visites : « vous allez entrer à l’hôpital madame, pas en prison ».

Tout me semblant rassurant et surtout correspondant à mes attentes, une prise en charge globale, je me suis donc rendue le mercredi 4 janvier aux urgences de Vernon après avoir organisé la garde de mes enfants pour ces quelques jours.
J’ai été très bien accueillie et on m’a de nouveau rassurée sur mes conditions d’hospitalisation… Je n’allais pas en prison et j’allais être prise en charge par une équipe puis suivie dès ma sortie.
Mais ça c’était à Vernon… Et de place à Vernon il n’y en avait plus !


Le Charme Pourpre
La psychiatre des urgences a appelé sans relâche pour me trouver une place, mon état étant selon elle « urgent ». J’ai toujours été calme, consciente de mon état. Devant conduire pour venir à l’hôpital je n’étais sous l’emprise d’aucun médicament. Un lit a finalement été trouvé à Evreux, celui, libre pour la nuit, d’un permissionnaire. Ni la psychiatre ni moi ne savions dans quel service j’allais mais nous avions enfin trouvé un lit.
C’est donc vers 22h que je suis arrivée dans le service  « Charme Pourpre ». Pour ceux qui ne connaissent pas c’est un service de long séjour (j’ai causé avec un gars ici depuis 17 ans).
Dès mon arrivée toutes mes affaires m’ont été confisquées, mes sacs vidés, fouillés avec commentaires sur leurs contenus. Mon téléphone supprimé comme mes chaussures et ma ceinture.

Je me suis effondrée. J’étais en larmes hoquetais, ne comprenais pas, ne comprenais plus. J’avais juré à ma fille qu’elle pourrait m’envoyer des messages à toute heure et je ne pouvais même pas lui dire que j’étais arrivée alors qu’elle attendait des nouvelles depuis 17h30. J’ai expliqué ce que nous avions organisé sur Vernon, ce que l’on m’avait dit et promis…
Pour me calmer, pas de verre d’eau ou de parole apaisante… « T’es internée, t’es pas dans un hôtel ! Soit tu te calmes tout de suite soit on te colle à l’isolement » sont les mots d’accueil de cette infirmière cette nuit-là.

L’aide-soignant a, lui, partagé un thé avec moi, plus tard pour essayer de me calmer et me rassurer. J’ai été autorisée à envoyer un unique message à ma fille pour lui dire que je n’aurai plus de téléphone.
Le lendemain j’ai vu un psychiatre environ 2 minutes et me suis retrouvée avec un traitement avec des médicaments inconnus sans même en avoir été informée. En revenant ma chambre provisoire avait été vidée. Je n’avais plus de place ni dedans ni dehors et je devais esquiver certains patients à la demande du personnel.

On m’a expliqué que j’allais être transféré vers un service « adapté », d’admission, le « Fayard Pourpre ». Je me souviens de cette adorable infirmière venue me chercher dehors pour me proposer de me rendre mes chaussures car j’avais froid. Dans le bureau, mettant enfin mes pieds aux chaud je me rappelle son insistance pour un transfert rapide « cette dame ne peut pas rester ici, elle n’a pas sa place chez nous, il faut faire vite, ça ne va pas du tout ».


Le Fayard Pourpre
C’est donc le jeudi 5 vers 13h30 que je suis arrivée dans le service. J’ai été installée dans ma chambre. Une fois habillée car depuis le matin je n’avais pas eu accès à mes vêtements, je suis allée voir les infirmières pour récupérer le reste de mes affaires dont mon téléphone et mes cigarettes. J’ai récupéré ces dernières mais pas mon appareil. J’ai expliqué que je devais juste envoyer un sms à ma fille, raconté Vernon… On m’a clairement envoyée bouler sur un ton plus que sec (je reste polie). On m’a demandé de revenir 1h plus tard.

Quand je suis revenue j’ai été accueillie par un « vous voulez quoi encore ? » franchement excédé (je rappelle que j’étais dans le service depuis 1h, ignorant tout de son fonctionnement). J’ai récupéré mon téléphone et envoyé mon message vers 15h.
J’ai ensuite regagné ma chambre, ne sortant que pour aller fumer une cigarette ou me rendre au réfectoire.

Le lendemain matin j’ai demandé à recharger ma cigarette et j’ai de nouveau reçu un accueil plus que désagréable car les appareils ne se rechargent parait-il que la nuit. On m’a clairement « envoyée chier » (désolée mais je ne vois pas de tournure plus parlante). J’ai donc regagné ma chambre. J’ai passé la même journée que la veille.
Il est, parait-il, indiqué dans mon dossier que je suis restée prostrée 2 jours dans ma chambre. Je suis juste restée dans le seul endroit où j’étais sûre de ne pas me faire engueuler ! Et visiblement ça n’a pas inquiété grand monde puisque personne n’est venu toquer à ma porte pour prendre de mes nouvelles !

Le psychiatre a lourdement insisté à chaque visite pour que je prolonge mon séjour. A lui aussi, comme à Vernon, j’ai expliqué ce que j’attendais de cette hospitalisation et il m’a expliqué que j’aurai un rdv calé et que tout serait organisé lors de ma sortie. J’ai eu une prescription et dès le lendemain matin (samedi) j’ai eu mon premier malaise vagal. Visiblement l’un des produits provoquait une réaction secondaire.

Je suis restée avec mes malaises matinaux puisqu’il n’y a pas de psychiatre le week-end. Le lundi, lors de la visite, il a accepté de supprimé l’un des 2 pour savoir auquel j’étais intolérante. Il m’a expliqué être absent le mardi mais qu’un confrère prendrait le relais si nous avions supprimé le mauvais… Et c’était le cas ! J’ai attendu en vain toute la journée du mardi mais aucun psychiatre n’a accepté de me recevoir.
Je souffre également de douleurs chroniques et il y a une affiche sur « Votre douleur – Parlons-en ». J’ai expliqué au généraliste qu’un seul produit me soulageait et il ne me l’a pas prescrit. J’ai retrouvé par la suite une ordonnance de mon médecin prouvant que c’était bien mon traitement. Je n’ai eu accès au soulagement que le lundi soir lors mon 6ème soir d’hospitalisation !

Quant à la douleur psychologique, j’ai eu beau dire et répéter que l’anxiolytique n’avait aucun effet sur l’angoisse, il n’a jamais été changé et même diminué par rapport à mon traitement de ville !

Le lundi soir, pour la première fois, un infirmier s’est présenté à moi lors de sa prise de service en m’appelant par mon nom et me demandant si j’allais bien. Pour moi cette demande n’était qu’une formule de politesse et je n’ai réalisé le lendemain qu’elle était vraiment sincère et une invitation au dialogue mais quand on passe une semaine à se faire traiter comme un « truc qui gêne au milieu » on perd l’habitude de l’humanité.


Du respect et de la dignité des patients
Le mardi soir, veille de ma sortie, il a fallu que j’avale une fois de plus ce médicament qui me rendait malade.
Ce soir-là, j’ai osé parler. Je sortais le lendemain dans un état pire que celui dans lequel j’étais rentrée. L’infirmière très gentille à laquelle je me suis adressée ne connaissait même pas mon dossier. J’ai donc évoqué mon cas mais aussi celui des autres et en particulier celui du droit à la dignité.

Il se trouve que certains patients ne sont pas autonomes et renversent leur repas, n’arrivent pas à tenir une cuillère, ne peuvent s’asseoir seuls… Et le personnel reste planté là, se marre, râle avec des « elle en a encore foutu partout », « tu sais ce que c’est qu’une cuillère ? » mais il n’y en n’a pas un qui aide. Alors quand X, le pantalon baissé laissant voir la moitié de son intimité postérieure se tartine le bavoir et rate la moitié de son repas j’estime que sa dignité est bafouée.

J’estime que quand Z n’arrive pas à beurrer sa tartine avec sa cuillère à soupe et renverse son chocolat sur elle, son droit à la dignité est bafoué.

Que quand on retrouve W en slip dans les couloirs sa dignité est bafouée.

Ce n’est pas parce que ces patients sont sédatés ou incapables de se rendre compte de leur état à cause de leur pathologie qu’ils n’ont pas droit à la dignité.

Comme ce tutoiement unilatéral de certains patients. Jamais ne n’ai vu cela dans aucun hôpital, même en gériatrie ou pour des patients dans le coma.

Et puis il y a cet odieux chantage, l’abus d’autorité sur des patient en état de faiblesse pratiqué par certains… Le chantage à l’isolement, à la privation de cigarette ou d’un objet personnel ! C’est surtout pratiqué (comme c’est étonnant !) sur des patients sous contrainte ! Humiliés publiquement et obligé de faire le « gentil toutou » pour pouvoir avoir un pantalon !

Mais il y a aussi des distractions dans le service ! Comme ce dimanche en fin d’après-midi où devant la porte ouverte du carré du staff un patient (certes pas méchant) a commencé à m’approcher jusqu’à me caresser les cheveux me disant que j’étais belle. J’ai protesté et clairement signifié que je ne voulais pas qu’il me touche. Le personnel présent a trouvé ça vraiment drôle, K avait une nouvelle fiancée ! Et quand il a continué et attrapé l’épaule et essayé de me prendre dans ses bras c’est seule que j’ai dû me dégager devant l’équipe du staff spectatrice.


Le départ
Le mardi, veille de ma sortie, j’étais vraiment mal.
J’avais exprimé mon opinion quant à la façon de traiter les patients et l’impression d’avoir perdu ma semaine. J’avais demandé une prise en charge globale et un cadrage pour ma sortie pour retrouver des repères, avoir des jalons et des béquilles une fois dehors. Je n’ai vu que le psychiatre mais ni psychologue, ni infirmière pour discuter. Il parait que l’on peut… mais vu qu’on a l’impression de leur arracher un rein quand on leur demande de charger un téléphone je n’ose imaginer l’accueil pour parler 1/2h ! Et puis je ne savais même pas que c’était à eux qu’il fallait soi-même s’adresser, je ne l’ai su que le dernier soir.

Bref, j’avais placé beaucoup d’espoir dans cette hospitalisation (trop courte selon mon psychiatre) et devant l’échec de ma démarche j’ai craqué. En allant chercher mon somnifère du soir pour la première fois on m’a demandé comment j’allais… la première fois en une semaine… et invité à m’asseoir et parler. L’infirmier de nuit nous a rejointes et nous avons longuement discuté. Depuis mon intervention pendant le repas j’étais devenue une patiente « distante, froide, hautaine » quand toute la semaine on n’avait souligné que mon humeur égale et souriante.

Lui aussi a souligné cette hospitalisation trop courte à son avis.
J’y ai beaucoup repensé et vers 2h du matin je suis retournée lui demander son avis pour savoir si une semaine supplémentaire pourrait m’aider dans mon projet pour aller mieux. Il a été très franc et répondu que « non, j’étais grillée dans le service avec les collègues, que je ne trouverai personne à qui parler et qu’il valait mieux que j’oublie Navarre ».

Le lendemain matin j’ai vu pour la dernière fois mon psychiatre et proposé d’accepter de prolonger mon hospitalisation.
Il a refusé.
Je lui ai fait remarquer que je partais dans un état pire que celui dans lequel j’étais arrivée avec un traitement qui n’étais pas au point (en gros j’avais encore plus envie de me suicider pour ne plus souffrir).
Non, je sortais et c’était sans appel. J’ai demandé quand était prévu mon rendez-vous au CMP, comment était organisée ma sortie. Rien. Pour moi rien n’est prévu, pour moi Navarre n’existe plus et je n’existe plus pour Navarre.

En gros on m’a jetée dehors pour avoir osé exprimer mon avis et surtout exposé ma souffrance au grand jour sur la place publique.
Très clairement, vu mon état, le praticien (tout le service en fait)  mettait dehors une personne dans un état pire qu’à son arrivée en mettant délibérément sa vie en danger uniquement pour une question d’orgueil et le refus de se remettre en question.

Ma sortie de ce mercredi était très clairement une mise en danger de la vie d’autrui et je trouve cela inadmissible.
Je tiens à signaler que sur cette semaine d’hospitalisation personne n’a remarqué les mutilations sur mon corps, les deux bras et le ventre, car jamais je n’ai été auscultée.


Conclusion
Nous sommes en France au 21ème siècle et cet établissement psychiatrique « moderne » est digne des pires images d’Epinal.
Humiliations, vengeance, chantage, « deal de clope », brutalité verbale, moquerie et une indifférence totale à la douleur physique et psychique.
On trouve plus de douceur et d’humanité dans le regard d’un gardien de chenil que chez vos soignants et le seul mot qui me vienne c’est : immonde.

J’ose espérer que cet endroit est une exception et que le reste des établissements psychiatriques est peuplé d’humains doués d’empathie et faisant leur travail.
Je tiens à signaler (mais vous le ferez vous-même avec vos plannings car je ne souhaite citer personne) que j’ai rencontré des personnes formidables qui aiment leur métier et le font réellement.
Je souhaite en particulier à remercier le personnel de service et les aides-soignants qui ne sont pourtant pas censés être en première ligne dans la thérapie.

Le problème est que les « monstres » marquent plus que les « humains ».

Pour conclure, Monsieur, sachez que la prochaine fois que j'irai vraiment mal, je préférerai passer à l’acte plutôt que de repasser par votre établissement, voire même toute structure du même type suite à cette expérience.


Cordialement,
Agnès LAURENT