« Mais le combat est d’abord, et avant tout, politique,
au sens le plus profond du mot, culturel, pour dire ce que nous n’acceptons
pas, car cela met en danger la cohésion de la Nation. » - M. Valls.
Je partage cette vision depuis toujours mais est-ce vraiment le fond de votre pensée?
C’est au cœur de la cité que se trouvent les réponses.
De « polis » en grec nous tenons la politique. Du
latin « civitas», la citoyenneté. Privées des langues anciennes, les
futures générations l’ignoreront bientôt.
Au sens le plus profond du mot c’est l’ensemble des règles qui
permettent à la cité de prospérer grâce à la cohésion de sa population.
C’est bien ce qu’il nous faudrait mais en avons-nous les
moyens ? Pouvons-nous détruire ce que nous construisons depuis 60 ans ?
Car cette cité malade dans laquelle nous vivons est
fabriquée de toutes pièces, née d’un idéal visionnaire de gens déconnectés de
la réalité.
Je ne suis ni éclairée ni illuminée. Je suis juste une
citoyenne de seconde zone sachant superposer des cartes et enfoncer des portes
ouvertes.
Si nous associons tous l’intégrisme avec la cité de banlieue
nous n’en voyons pas toujours les causes profondes et je souhaite revenir sur
notre histoire récente. Cette analyse n’engage bien sûr que moi, simple fruit
de mes observations.
C’est en regardant différentes cartes que j’ai commencé à
creuser un peu plus.
D’abord celles de la répartition des foyers intégristes et
des fameux « Grands Ensembles ». Puis celles du chômage, de l’échec
scolaire, de la pauvreté, des conversions, de la violence, de l’extrême droite
et des évangélistes pentecôtistes. Ce n’est pas un hasard si toutes révèlent
les mêmes points noirs (certaines exceptions pour l’extrême droite qui est
parfois en périphérie de ces zones).
La France est le seul pays d’Europe à avoir choisi
massivement ce mode d’urbanisation, nos voisins préférant opter pour des
immeubles bas et des cités jardins. Il se trouve aussi que la France détient le
record européen du nombre de djihadistes sur son territoire.
Hasard ?
Je ne pense pas…
Nous sommes juste après la guerre et il faut reconstruire la
France. Les infrastructures, les transports, les logements.
Notre pays était très en retard par rapport à ses voisins. A
cette époque seules la moitié des habitations ont l’eau courante, 25% ont des
toilettes et 10% une salle de bain. Alors au lieu de reconstruire on a décidé
de construire tout court.
Il fallait aller vite et bien.
Les grands ensembles vont sortir de terre jusqu’au milieu
des années 70.
De véritables villes en kit avec écoles, commerces et
logements poussent comme des champignons en un temps record. On se rend très
rapidement compte que ce n’est pas une bonne idée mais on continue quand même !
C’est qu’on a besoin de plus en plus de place. Après la
guerre à réparer on entame les 30 glorieuses, on favorise l’immigration pour
subvenir au manque de main d’œuvre, nous sommes en plein baby-boom, nous sommes
en pleine décolonisation et nous assistons au dernier grand exode rural.
La France a faim de gigantisme. Des champs toujours plus
grands avec le remembrement et des tours toujours plus hautes pour loger tous
ces exilés.
Le rêve de la ville nouvelle est de courte durée. On a
construit vite mais mal. Très vite les matériaux bas de gamme se dégradent. La
joie d’avoir sa salle de bain est gâchée par les nuisances sonores et les
courants d’air. L’offre des transports ne suit pas et les commerces ferment.
Ces villes ont été bâties en périphérie des grandes
métropoles qui fournissent les emplois
et hors les murs des villages dont elles prendront le nom. Comme des clones
elles n’ont ni âme ni Histoire. Quand on habite Sarcelles on n’est pas parisien
et on n’est pas de Sarcelles quand on ne vient pas du « Village ».
Elles n’ont pas de passé et n’auront bientôt plus d’avenir.
On n’y vit pas, on y dort après une longue journée de
travail et des heures de transports.
On travaille bien à l’école pour réussir et pouvoir un jour en
partir.
Elle est là notre France Blacks-Blancs-Beurs. Elle est
juive, chrétienne et musulmane. Elle est portugaise, arménienne, marocaine
malienne et bretonne. Elle travaille de concert pour un pays plus fort et un
avenir meilleur. Elle est ouvrière et non qualifiée. Elle envoie de l’argent au
pays. Un jour elle rentrera chez elle ou alors elle aura « une situation »…
En attendant la terre promise, faute de loisirs et d’espaces
verts on reste devant sa télé nouvellement acquise et on regarde défiler le reste
du monde.
Et puis en 1974, le rêve se brise. C’est le choc pétrolier.
Les emplois sont plus
rares et les premières victimes sont ces gens qui ont tout laissé pour venir
vivre ici. Dans le même temps le flot migratoire ne tarit pas mais il n’est
plus économique. On ne quitte plus son pays pour y revenir riche plus tard. On quitte
son pays pour ne pas y mourir sans savoir si on y retournera un jour.
Avec le chômage ils n’ont pas pu financer les études pour
les enfants qui sont entre-temps devenus parents à leur tour.
Et le grand rêve se transforme en spirale de l’échec, en
descente aux enfers.
Dans les années 90 la jeunesse est en colère.
Elle casse, vole, pille, insulte comme un enfant testerait
les limites de ses parents mais la République est une mère démissionnaire.
Elle va bien punir un peu mais va délaisser son rôle d’éducatrice.
Petit à petit les villes-nouvelles deviennent Cités Dortoirs puis des Zones Urbaines Sensibles et enfin des
quartiers prioritaires de la politique
de la ville. On change de nom mais rien ne change vraiment et même si les élus
rechignent à l’admettre ce sont surtout des zones de non-droit.
Des zones sans lois, sans repères et surtout sans espoirs.
Elles sont devenues des jachères de la République où la notion «d’Égalité »
n’a plus de sens.
Après 30 ans d’abandon les chiffres parlent d’eux-mêmes…
50% va abandonner l’école avant la fin du collège et n’aura
aucune qualification ou diplôme.
45% des moins de 24 ans sont sans emploi (le double de la
population nationale).
22% bénéficient de la CMU contre 7% pour le reste des
français.
33% touchent les minima sociaux contre 18% ailleurs.
40% vivent sous le seuil de pauvreté.
5% d’entre eux seront cadre ou auront une profession
libérale.
La mortalité périnatale y est 80% plus élevée !
Nous ne sommes pas à Soweto ou Jakarta… Nous sommes à moins
de 10 km De Paris, Marseille, Roubaix et autres métropoles.
Ils vivent dans des villes sans passé et n’ont aucun avenir.
Ils subissent leur vie comme dans les tragédies grecques en acceptant la
fatalité. Ils ne voient du monde que ce que leur offrent BFMTV et Les Feux de l’Amour.
Les jachères sont des terres fertiles à qui prend la peine
de les reprendre en main et ça, les prédicateurs de tous bords l’ont bien
compris. Ils offrent des réponses quand les autres restent muets, ils donnent
un sens à cette absurde vie sur terre faite de souffrances pour gravir les
marches du salut et surtout, ils vont sur le terrain.
Ce compost explosif n’a pas de couleur. Il est le fruit de
la pauvreté et de l’absence d’espoirs qui se décomposent.
Il est facile d’endoctriner des gens qui savent à peine lire
et dont personne ne prend soin. La République leur reproche même de gagner trop avec
toutes leurs « allocs »! Ils se raccrochent à n’importe quelle
branche.
Ils s’abandonnent à une foi aveugle en un Allah vengeur, un
Jésus vivant ou une vierge Marine.
Ces croyances sont archaïques et remplies de haines, mêlant
vieilles pratiques animistes ou païennes à des morceaux de « vrais textes »
détournés pour former de véritables dogmes. Elles sont volontairement détachées
de tout modernisme afin d’être plus hermétiques. On ne discute pas ce qu’on ne comprend pas.
Si certains glissent vers une version plus radicales de
leurs convictions originelles on assiste à énormément de conversions vers l’Islam
mais aussi les Pentecôtistes ou l’extrême droite. Ils profitent d’une
population qui n’ira ni lire les textes ni vérifier les chiffres ou les sources.
Leur foi est aveugle et leur jugement altéré.
Ils ne sont pas idiots mais il est bien difficile de réfléchir
quand on souffre (je vous invite à essayer de faire des sudoku pendant une rage
de dents ou un accouchement). Une fois enrôlés quelqu’un pensera pour eux et
ils vont y trouver un réel apaisement en plus de l’espoir d’un avenir meilleur,
ici ou dans l’au-delà.
Alors oui, il faut faire quelque chose Monsieur Valls.
Il faut faire de la politique au sens profond comme vous
dites et rattacher les 10% d’êtres qui survivent dans ces limbes parallèles à
la République.
Il faut arrêter de laisser mourir socialement ces gens en
les mettant au ban de la ville au sens large. Si des prédicateurs de bazar
arrivent à convaincre en offrant du rêve, des énarques d’un des pays les plus
riches de la planète devraient y arriver en offrant du concret. Non ?
C’est à vous d’aller réhabiliter vos jachères au lieu de
culpabiliser les herbes devenues folles qui y poussent comme elles le peuvent.